Manger comme un moine tibétain.

Rituels anciens, réponses modernes…

Résumé de l’article :
Réappropriez-vous vos repas – loin de la vitesse et de l’efficacité exigées par notre monde – mais sous l’éclairage des enseignements du bouddhisme. Comment remettre du sacré et du sens dans le fait de nourrir notre corps ? Que veut dire manger avec respect et compassion ?

Pendant des années, j’ai oublié de manger.

J’expédiais les repas comme une corvée, la tête déjà dans les dossiers du travail.
“Pas le temps, j’ai des dossiers au bureau…”

Avaler plutôt que manger ne m’a pas rendu heureux. Sans m’en rendre compte, j’abandonnais chaque jour un moment précieux.

Maintenant c’est l’inverse : je protège mes repas.
La différence est venue comme une conséquence inattendue de mon intérêt pour la méditation et le bouddhisme – dans une recherche d’équilibre de vie face au stress et au burn-out.

Le bouddhisme comme source inattendue de changements alimentaires.

Au fil des générations, les moines bouddhistes ont rassemblé dans un ensemble cohérent la doctrine, notamment sur les questions de nourriture, avec 5 points de base :

  1. On mange  lentement, en silence et en étant présent.
  2. On mange dans le respect, la beauté et la gratitude pour la nourriture.
  3. On mange peu.
  4. On mange avec une routine horaire régulière et avant le coucher du soleil.
  5. On mange plutôt végétarien (des aliments de vie).

(Vous pouvez en savoir plus sur les origines en cherchant sur internet : “régime bhikkhus dans le courant theravada” ou “code monastique de Bouddha” par exemple…)

Manger en pleine conscience.

“Pleine conscience” fait parfois tiquer, cette traduction de l’anglais mindfulness sonne perché… alors disons plutôt : manger en étant présent. Être présent à ce qu’on fait dans l’instant est un des fondements du bouddhisme et nous aide à calmer notre esprit et reconnecter au réel. Prendre le temps de donner une perspective et une connection aux sensations et émotions donne un moment de paix essentiel dans le repas.

La pomme et le pain sont très souvent pris en exemple – pour illustrer le simple fait d’être à ce qu’on fait, à ce qu’on perçoit quand on mange.

La pomme.
La lourdeur de la pomme dans le creux de la main, la texture, la forme exacte, les couleurs, l’odeur. La sensation de croquer, de mâcher, d’ingérer.
Elle a poussé dans un verger, elle s’est gorgée de soleil… on a la chance aujourd’hui de pouvoir partager son énergie, ses fibres, au creux de notre ventre.
Cette pomme nous apporte de la vie.
La remercier en somme.

Le pain.
L’épi de blé a connu le vent, le soleil et le silence des champs vastes.
Le grain est devenu farine et puis pain.
Quand vous prenez un morceau de pain, que la croûte se brise, que la mie et l’odeur se révèlent, vous retrouvez la pluie, les nuages et le soleil.
Un morceau de pain ne devrait pas être pris à la légère, en lui demeure les bienfaits de la terre.
Au moment où on le porte en bouche, on est connecté à cette réalité.

Il y a un côté miraculeux à être vivant, à pouvoir manger, à nous sustenter.
Même un simple verre d’eau est un miracle, un contact entre vous et le cosmos.
Si vous arrivez à vous émerveiller à nouveau pour un verre d’eau, vous verrez que très naturellement vous commencerez à trouver difficile de donner du sens et de la beauté à un verre de Coca ou un plat en barquette micro-ondes.

Une fois que l’on développe du respect pour nos repas, chercher à mettre en valeur les plats, les assiettes, la table, l’éclairage devient un moment de calme et apaisant dans la journée.

On ne pense pas à des choses négatives.
On ne regarde pas son téléphone.
On ne lit pas ses mails.
On n’écoute pas la radio.
On ne pense pas à des problèmes matériels, d’argent, de job.
On ne se plaint pas.
… On cherche juste à s’entourer de beau pour manger. Au soleil, en silence.

Je crois à une pratique méditative active tout au long de la journée – et le repas constitue un moment privilégié pour être présent.

La préparation du repas elle-même est une occasion de méditation active – prenez l’habitude de regarder cuire votre plat – vous verrez que la nourriture a meilleur goût.

Sachez enfin faire la différence entre des moments de qualité et le tout venant de notre vie moderne : personne ne vous suggère de trouver de la beauté dans le fait de prendre un shaker de protéines après la gym ! Un temps pour chaque chose (mais la performance nuit souvent au bonheur !).

La gratitude pour le repas, pour soi et pour les autres.

On retrouve cette partie dans toutes les civilisations, nous avons juste oublié en Occident que nous pratiquions la gratitude quotidiennement. Lorsque les chrétiens disent le bénédicité avant de manger, c’est très proche des pratiques de gratitudes du bouddhisme.

“Seigneur, bénis ce repas, ceux qui l’ont préparé, et procure du pain à ceux qui n’en ont pas.”

– le bénédicité des chrétiens

Remettre du sacré et de la présence avant de manger est un pilier du respect de soi, de nos proches, de la personne qui a préparé le repas. Cela reconnecte à la joie d’être avec sa famille. Certains vont même jusqu’à avoir une pensée pour tous les gens qui ont contribué à amener la nourriture sur la table : le cueilleur du verger, l’ouvrier agricole qui prépare les caisses,  le conducteur de camion, etc. Pourquoi pas ? C’est en cela aussi regarder le monde avec gratitude.

La force mentale de refuser de manger trop.

La vie ascétique du Bouddha s’inscrivait dans une vieille tradition indienne d’essayer de libérer l’esprit en dominant le corps. Dans les temples bouddhistes, les moines n’ont que de petits bols dans lesquels manger et boire du thé. C’est parfait, car c’est exactement la taille de l’estomac.
Il y a un côté parfois obscène à la façon dont nous mangeons et grignotons sans cesse, sans retenue, ni maîtrise. Pratiquer la retenue volontaire est un exercice qui nous renforce et nous élève.

Achetez un petit bol, joli, coloré, qui vous plaît particulièrement – et essayez de manger uniquement la portion qu’il contient, chaque repas, chaque jour.

Bouddha était maigre. Il ne mangeait pas lorsque le soleil décline en fin de journée. Le but ? Jeûner. Sentir la faim. Être présent dans la faim. Et puis avec le temps, la dompter et l’oublier. Les occidentaux redécouvrent cette pratique – qu’on appelle désormais “jeûne intermittent”. Manger peu et pratiquer le jeûne intermittent permet de respecter les cycles circadiens de l’organisme, de garder l’esprit clair et d’éviter le crash d’insuline qui donne envie de dormir. Et c’est un excellent moyen de perdre du poids, même si ce n’est pas le but initial de la pratique. Ou plutôt, la maigreur était vu par Bouddha comme un signe de santé.

“Moines, je ne mange pas le soir parce que j’ai décidé de ne pas manger le soir. Je suis en santé, lumineux, plein d’énergie et je me sens bien. Vous aussi, évitez de manger le soir, et vous aurez une bonne santé”.

– Bouddha, Vinaya

Des aliments de vie.

Bouddha n’était pas végétarien strict. Le Dalaï-lama non plus.

Cependant, la doctrine bouddhiste a évolué vers le végétarisme :  faire connaître la brutalité et la terreur à un être vivant est inacceptable.

“On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux.”

Gandhi (plus hindouiste certes)

Même si vous n’êtes pas prêt à faire le pas, testez. Testez les pâtés végétaux, testez de réduire beaucoup les portions de viandes, testez des jours sans viande. Et si vous devez manger de la viande, prenez le temps de vous recueillir. De remercier l’animal. C’est la moindre des choses. Si vraiment vous faites ça, il y a de grande chance que cela devienne naturel de moins manger de viande.

Concentrez vous sur les plantes par plaisir. Sur un étal, même au supermarché, les salades, les tomates, les fruits. N’achetez plus vos courses sans y penser.
Demandez vous : “Est-ce que ce que je vais manger va me régénérer ? Me faire du bien ? Du bien à moi, à mon amour, à mes enfants ?”
Chaque plat que nous préparons, chaque repas que nous mangeons, est une occasion de pratiquer la gratitude et l’introspection.

Prenez le temps de choisir vos aliments avec soin, presque “avec amour”, qu’ils soient frais, beaux, plein de vie. Il y a comme l’intuition que manger des plantes est bénéfique. Gandhi, Voltaire, De Vinci en étaient convaincus.

Et demain, s’il vous plaît, essayez de faire mieux que d’engloutir un énorme bol de céréales en regardant une chaîne info. Faites de chacun de vos repas un moment de qualité intime.
Manger libre libère.

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