La reine et les mages

La Renaissance française est une révolution de la pensée, autant sociale, économique et politique, qu’artistique et scientifique. Arrivée en France d’Italie par François Ier, suite aux guerres pour la conquête du duché de Milan avec la célèbre bataille de Marignan (1515), la Renaissance est la concordance de plusieurs facteurs : la découverte de l’Amérique, le procédé industriel de la presse d’imprimerie par Gütenberg, et la découverte de la perspective en peinture.

Ensemble, ces évènements opèrent un décentrement de la pensée vers un monde rationnel et articulé par la science, où Dieu n’est plus au centre, mais l’homme. Cependant, à ce Nouveau Monde se mêle un ésotérisme fort émanant de la population, en proie aux croyances diverses et superstitions. L’astrologie, qui connaît un engouement sans précédent, n’est pas considérée comme une pratique mystique, mais comme une science. À cette époque, la différence entre science et magie n’existe pas. Les astres dirigent ou influencent la marche du monde. C’est dans cet univers complexe que naît l’un des plus grands médiums et astrologues de son temps, qui fascine encore le monde aujourd’hui : Michel de Nostredame, dit Nostradamus (1503-1566).

Né à Saint-Rémy de Provence, dans une famille modeste, sans être pauvre, il part étudier très jeune les arts et lettres à Avignon. Doté d’une mémoire parfaite, d’après certains, il se passionne pour l’alchimie en manipulant les produits chimiques de la teinturerie dans laquelle il aide son oncle. Ses amis de classes relatent qu’il leur décrit la course des astres et leur signification. La peste ravageant le pays le contraint à arrêter ses études en 1520. On le retrouve comme apothicaire, qui ne nécessite alors aucun diplôme. Visiblement lassé de sa vie monotone, il tente d’étudier la médecine à la faculté de Montpellier, mais s’en fait radier quelques mois plus tard, sans que la raison nous soit parvenue.

La suite nous la connaissons mieux. Il s’installe à Agen en 1533 où il exerce la médecine qui, en ce temps, relève autant de la science que de la magie. Il y rencontre des Italiens qui lui font part de la magie de l’Italie et des pratiques ésotériques de Florence et de Milan. Convaincu, il s’envole dans un tour de la botte pendant lequel il rencontrera cartomanciens, et autres experts d’alchimie végétale qui lui enseignent l’art des confitures guérisseuses. En rentrant en France, il publie, ce qui peut nous paraître insolite aujourd’hui, le Traité des confitures et fadement (1552).

C’est également à la suite de son retour qu’il publie en 1550 son premier almanach populaire, comprenant des prédictions pour l’année à venir, ainsi qu’un calendrier. Ses augures sont basés sur l’étude du ciel, des étoiles et la course des astres. Il signe pour la première fois son ouvrage de « Nostradamus », traduction latine approximative de son nom. Trait d’humour ou sens caché, le mystère qui entoure son patronyme est représentatif de son style. Cinq ans plus tard, il publie son ouvrage majeur Les Prophéties, qui garantira sa postérité et en fera l’un des auteurs les plus commentés de tous les temps.

Le génie de Nostradamus vient de son imagination délirante, ainsi que sa capacité à transformer ses intuitions ou calculs astrologiques en discours qui fascine. Rares sont les prophètes qui ont créé une langue, un véritable style poétique, reconnu de nos jours. La force des prophéties de Nostradamus vient de ce style volontairement mystique qu’il utilise, suscitant autant l’interrogation, la curiosité et le frisson. Il décrit le secret du monde et cette vérité ne doit pas être accessible à tous. L’astrologie est une science utilisée par les savants et seuls les savants doivent pouvoir comprendre ses écritures.

De la montée au pouvoir d’Hitler aux attentats du 11 septembre 2001, en passant par l’assassinat de John F. Kennedy, ou encore sa propre mort, tout le monde voit dans les prophéties de ce génie de l’écriture, les évènements historiques majeurs. Régulièrement, lors de moments médiatiques galvanisant les foules, il n’est pas rare de le voir ressurgir dans l’actualité. Encore récemment, la crise du COVID-19, lui a donné les gros titres : Nostradamus avait-il prévu la crise actuelle ?

Dans ces quatrains fantasques et obscurs, des spécialistes affirment que le mage décrit des planètes qui n’existaient pas dans les connaissances de l’époque, notamment Neptune. Mieux, il réussit à révéler, dans de mystérieux calculs, la configuration céleste exacte sous laquelle Neptune va être découverte en 1846, alors que nous sommes au milieu du XVIe siècle. Dans un autre de ses quatrains, il aurait prédit la mort du Roi Henri II lors d’une joute, une lance plantée dans l’œil. Génie ou prophète pour certains, affabulateur sachant écrire pour d’autres, une chose est certaine, il ne laisse personne indifférent.

La notoriété de Nostradamus vient également des fréquentations royales qu’il a eues et qui ont donné à ses prédictions une portée internationale. Catherine de Médicis est l’une des reines de France qui déclenche le plus les passions. Loin de l’image d’empoisonneuse et de reine de l’intrigue que l’histoire a laissé, elle est surtout une reine qui donna trois rois à la France : François II, Charles IX et Henri III. Cette légende noire, elle la tire du fameux cabinet des poisons du châteaux de Blois, de la mort du Duc de Guise, assassiné à ses pieds, ou encore des nombreux complots très communs à la cour. Tout cela se mélange aux loisirs en vogue tels l’alchimie – où chacun cherche à changer le plomb en or – et l’astrologie pour savoir ce que réserve l’avenir.

Catherine de Médicis, fidèle à ses origines italiennes, comme Nostradamus qui y a voyagé, est passionnée par l’astrologie. En témoigne sa tour d’astrologie, toujours visible aujourd’hui, collée à la bourse de Paris. Construite avec son hôtel particulier en 1572, dont il ne reste plus la trace, cette immense colonne permettait à l’astrologue favori de la Reine, Côme Ruggieri, de s’élever au-dessus des fumées de Paris pour observer le ciel à l’œil nu, comme on le faisait dès lors. 40 ans après la mort de Catherine, Galilée, autre génie du siècle, révolutionnera la discipline en inventant la première lunette astronomique.

Loin de son pays, mariée à un homme qui ne l’aime pas, la Reine se tourne vers l’astrologie pour réussir à réaliser ses vœux les plus chers, dont celui d’avoir un enfant. Henri II est à ce moment fou amoureux de la plus belle femme du pays, de 20 ans de plus que lui, Diane de Poitier, la « presque reine ». La fascination qui entoure cette femme, rend folle de rage Catherine de Médicis, qui n’a ni sa beauté, ni son aura auprès des hommes. Bien que considérée comme âgée à l’époque, Diane de Poitier semble étonnamment belle, et suscite les passions les plus folles, car le temps n’a aucune emprise sur elle. Elle semble ne pas vieillir. Cela est dû sans doute, aux décoctions de lait d’ânesse et d’or liquide qu’elle boit tous les matins. Ce sont aussi ses potions qui ont sans doute causé sa mort, quelques années après celle du roi.

Le seul désir de Catherine de Médicis, c’est de susciter l’amour de son mari, de tomber enceinte et de donner un héritier à la France. Surtout avant sa rivale. Conservée à la bibliothèque Nationale de France, un médaillon exceptionnel de la Reine est venu jusqu’à nous, témoignant de sa passion pour les sciences occultes. Couvert d’inscriptions et de symboles ésotériques, peu de gens peuvent décrypter ce talisman qu’elle portait sur elle tous les jours. Lire les formules conjuratoires qui y était inscrite lui permettait d’attirer la force et d’éloigner son mari de l’influence d’une femme étrangère, entendons Diane de Poitier. Ce médaillon a été créé par le plus célèbre des mages de l’époque, Nostradamus.

C’est peu de temps après la publication des Prophéties que la reine fait venir l’astrologue à la cour, ayant eu vent de sa réputation sulfureuse. Elle lui donnera pour le reste de sa vie sa protection jusqu’à le faire nommer en 1564 médecin et conseiller du Roi Charles IX. Pour Catherine de Médicis, l’astrologie donne une vision globale et ordonné du monde et n’hésite pas à l’utiliser dans un but politique, ce qui suscite la jalousie des courtisans envers l’emprise qu’ont les mages qui l’accompagnent. Leur seul but est de prédire jours après jours si les augures lui sont favorables. Si les prédictions sont mauvaises, les grandes décisions politiques qui décident du sort de la France sont repoussées.

Ainsi les vœux de la Reine sont exaucés. Avant la mort du Roi Henri II, elle a eu 3 fils, assurant l’avenir du pays et de la famille royale. Mais quel est leur destin ? Si Catherine de Médicis est proche de Nostradamus, il y a un autre astrologue dont elle ne se sépare jamais, qu’elle a fait venir de son Italie natale : Côme Ruggieri (?-1615).

Ruggieri est né à Florence et serait le fils du médecin-astrologue du père de Catherine, Laurent II, Duc d’Urbino. Se cherchant une place, il arrive à la cour de France et enseigne l’italien à différents membres de la famille royale. C’est là que Catherine le repère, retrouvant chez lui ses propres origines. Elle aime ses prédictions et demande sans cesse son avis quant aux décisions à prendre. Son influence sur la Reine causa sa détestation auprès d’une majorité des membres de la cour et son rôle suspect auprès du pouvoir lors des événements de la Saint-Barthélémy finiront d’écrire sa légende.

Moins connu que Nostradamus, il aura pourtant une mission plus essentielle et intime auprès de Catherine de Médicis. Obsédé par le destin de ses enfants, elle n’hésite pas à demander à Ruggieri ce que l’avenir leur réserve. On relate notamment une séance de cristallomancie folle où Ruggieri prédit le pire à la Reine, dans une grande clairvoyance la mort de ses trois enfants. La cristallomancie est l’art de lire l’avenir dans les boules de cristal ou dans les miroirs comme on le faisait à l’époque. Dans une petite pièce du château d’Amboise, résidence royale célèbre de la Loire, perdu dans la fumée et les parfums, le mage déclame des formules obscures. On raconte que le visage de François II, premier fils de Catherine, apparaît dans le miroir pour ensuite se projeter sur le mur; faire un tour entier de la pièce et disparaître. Puis vient ensuite le visage de Charles IX qui fait quatorze tours et s’évanouit. Chaque tour de la pièce, explique le mage, représente les années de règne : le premier va régner seize mois tandis que le deuxième quatorze ans. Vient ensuite le visage d’Henri III qui fait quinze tours de la pièce et disparaît aussi. Pour finir apparaît le visage d’un homme qu’elle ne connaît pas, qui n’est ni un de ses enfants ou petits-enfants, c’est celui du futur Henri IV. Catherine de Médicis aurait compris alors, que bien que chacun de ses fils soit devenu Roi de France, aucun ne survivra et aucun de ses descendants directs ne poursuivront l’histoire de sa famille. En effet, suite à la mort de ses trois fils, on devra remonter la lignée royale jusqu’à Saint-Louis pour trouver un descendant par les mâles encore vivant. Le destin est ironique puisque dans cette France catholique où les ultras-catholiques de la Ligue s’affrontent avec les protestants, c’est le Roi Henri de Navarre, protestant, qui devient héritier du trône.

L’importance des mages à la Renaissance peut paraître délirante de nos jours. Pourtant ce qui est certain c’est qu’ils ont écrit l’Histoire. La Reine Catherine de Médicis a participé dans cette relation fascinante avec les deux plus grands mages de l’époque, à populariser l’astrologie et à porter toutes les sciences occultes au rang d’art. Par la suite, ces pratiques d’origines populaires seront communes à tous les milieux et à tous les pays. Dans les textes publiés par Nostradamus, on trouve le fondement des pratiques divinatoires d’aujourd’hui et personne depuis lors, n’a réussi à dépasser le maître. C’est ici que le mythe rencontre la réalité : si on peut penser qu’avec leur emprise sur la Reine, ces prophètes ont pu influencer le cours des événements pour que leurs prédictions se réalisent, on ne peut s’empêcher de penser aussi que, peut-être, ces penseurs avaient prédit l’avenir.

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